jeudi 11 août 2011

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" Et de se dire, comme ceci, comme cela, je vais manger, je vais boire, que vais-je faire encore, ils ne sont plus les beaux jours de la fontaine, le fleuve coule sans cesse et jamais on ne se baigne dans la même eau, le temps coule sur la rive, le sable brille, tout est posé et les petits disent :

ce grand tient un discours, il parle, il nous parle et nous avançons de la rive au centre des eaux où elles sont assemblées, les eaux muettes, assemblées entre deux rives, sous le regard des hommes sages, un tout petit annonce le discours, il y tient un discours, il prononce, il nous fait :

avancer au milieu des flots, au milieu des eaux assemblées, il tient, il prononce et il discourt sur le courant des choses, la vie est posée au pied, dans le panier, il tient un discours et il nous enseigne, il est temps, il est l’heure, nous sommes jeunes mais nous devons courir, courir, vers notre :

vieillesse, vers le temps en fuite, vers le peu de nous qui restera. Ils sont allongés et ils songent : les eaux coulent, coulent encore, comme ceci, comme cela, le plus jeune a remarqué : les hommes sages prononcent des discours, chaque phrase enseigne, ils sont posés ainsi sur la rive, ils :




écoutent, les eaux s’écoulent, le temps avance, elles fuient, elles fuient, ils étaient capable de belles phrases, de belles tournures, de ronds dans l’eau, de perles dans le crâne d’un crapaud, de paniers posés à terre, de nappes au soleil pour proclamer les fruits mûrs, les cœurs apaisés, les :

oreilles ouvertes, ils sont posés à l’ombre et l’eau berce chacun, ils sont vieux et sages, ils sont jeunes et souples, tous sont bercés des eaux des fleuves, des eaux du monde, du rayon de lune à l’œil rond des étonnés, ils sont allongés, ils sont posés, ils cherchent et ils trouvent les mots, qui :

éloignent, les phrases qui font reculer, qui chassent : le malheur, la vie petite. Ils sont sur le sable de la rive et le temps ne les prend pas, ils se bercent d’illusions et d’espérance, et de clés, elles ouvrent le paradis pour les anges, la voute pour les étoiles, et de se dire, comme ceci, comme :

cela, je vais manger, je vais boire, que vais-je faire encore, ils ne sont plus les beaux jours de la fontaine, le temps s’en va comme cette vie, et l’espérance, l’espérance, ils attendent sur le sable de la rive, un soleil, une lune, des astres, des saisons, de la chaleur, des fruits, des fruits, en, en :

avance, en avance, ils veulent manger et boire et finir sous les arbres pour goutter toutes les gouttes, sécher toutes les ambitions, ils se comportent, ils se confortent, ils sont au repos, le cœur à l’aise, la voix à l’aise, le calme rendu au souffle, les voix, le vent, gouttent, le, les, tout :

tout est tendu et détendu, ils accumulent les images, ils écoutent, le vent dans les feuilles, au ciel si bleu, si calme, et sincères ils ont inventé, les jeunes, les vieux, allongés sur la rive, le fleuve passe éternellement pour la première, pour la dernière, c’est la première, c’est la dernière, les, les :





roses de l’été, les gouttes au fond du seau, les fleurs sur chaque branche, ils sont posés au sable, au repos, ils comptent les gouttes, les ombres, les feuilles sous les arbres, les brindilles sur le gravier, les oiseaux courent sur le sable, les feuilles sèchent les âmes nues, ils se tournent, ils, ils, se :

défont du poids des choses, le fardeau posé au sable, au repos, ils sont jeunes et vieux, sages et fous, ils savent les discours, ils usent les histoires, ils échancrent leurs faces, sourires faciles, sourires perdus, un discours, un plus un, encore plus, des fleurs aux branches, une parole et :




après l’autre, un cœur perdu vers un cœur tendu, ils sont grain à grain, ils sont sable de la rive, ils tournent et pensent : le discours sur la montagne, la coquille sur le rocher, le cœur ouvert, les roses dans leurs gaines, la mousse, la vie battante, ils prennent les fleurs, ils tirent les pétales, les :

et grain par grain, le temps dépose le sable du fleuve à leurs pieds, de leurs mains il respirent les fleurs, ils ouvrent leurs bouches, leurs, ils ont parlé, il vont y croire, le monde est grand, le monde chante, les mains ouvertes, le cœur ouvert, bien grand, émus et tendres, tendres, tendres :




ils sont jeunes et vieux, sur la même rive du monde, ils se disent : il faut discourir, il faut donner au monde un chant nouveau, ils se disent, ils s’aiment, il faut aimer, il faut dire un peu plus, un peu plus à l’aise, le cœur ouvert, la bouche grande, en marche au bord de l’eau, en marche :

dans la saison claire et pure, le discours, construit, la parole, enchante, le monde est un vallon, il est surpris près du ruisseau. Ils se chantent, ils boivent, ils comptent leurs deux mains, ils fracturent la peur, ils sont posés au bord du fleuve et tout attend, tout commence, il faut chercher :

la juste chose, le grand écart, le pied et l’équilibre. Et de se dire, comme ceci, comme cela, je vais manger, je vais boire, que vais-je faire encore, ils ne sont plus les beaux jours de la fontaine, le fleuve coule sans cesse et jamais on ne se baigne dans la même eau, et jamais : on ne s’y baigne. "







Texte de Michel Chalandon : "Dans la même eau" ... 11août 2010
poésie à Franquevaux

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